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Chroniques
Orchestre de Paris, anniversaire Berlioz
création de Noon de Philippe Manoury
Le grand raout du Bicentenaire Berlioz, qui occupe le monde musical français toute cette année et l’Orchestre de Paris depuis trois saisons, annonçait cette soirée comme sa clé de voûte ou son apothéose – la formation parisienne fit entendre le Berlioz des grands chefs d’œuvres, mais aussi sa production la moins connue ; saluer donc une initiative aussi complète que passionnante et réussie, et tous les artistes qu’elle convoqua depuis 2000, à commencer, bien sûr, par son directeur musical Christoph Eschenbach. Ce soir, le Chœur Capella d’Amsterdam, dirigé par Daniel Reuss – qui offrait un fort beau concert à la tête du Kammerchor de Berlin lors de la Biennale d’Art vocal [lire notre chronique du 6 juin 2003] – vient prêter main forte à la phalange lutécienne. Ils donnent ensemble Noon de Philippe Manoury et Tristia d’Hector Berlioz.
Tristia regroupait en 1851 trois chœurs composés séparément : la Méditation religieuse écrite en 1831 sur un poème de Thomas Moore lors du séjour romain du musicien, et les deux élégies conçues en 1844-48 pour accompagner des représentations finalement avortée d’Hamlet à l’Odéon, La mort d’Ophélie (adaptée d’une mélodie chant/piano de 1842) et la Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet. L’on comprend bien que, dans la grande entreprise Berlioz 2003, il soit important d’explorer et de faire entendre tout l’œuvre du compositeur. Cependant, Tristia n’est sans doute pas ce qu’il fit de mieux. L’on s’étonnera donc d’un tel choix pour la soirée phare du cycle. Cela dit, les circonstances de sa conception suggèrent peut-être un intérêt différent, une inscription autre ; en effet, Berlioz réunit les trois chœurs lors de son exil londonien de 1848, alors que la Révolution parisienne lui semble de taille à inquiéter son avenir d’artiste. On lui reprocha depuis sa tiédeur vis-à-vis de la République – et tout dernièrement, au point de décider de ne finalement pas accueillir sa dépouille au Panthéon.
L’interprétation de ce soir passe à côté de l’œuvre, Esa-Pekka Salonen dirigeant ces pages sans véritable dynamique. Les deux premiers chœurs paraissent ternes et presque inertes, tandis que le crescendo du troisième est mal amené, dans une marche déjà trop mezzo forte dès l’amorce, et qui n’a guère de place pour grandir encore. Le tempo s’avère beaucoup trop mobile, entravant définitivement l’avancée progressive des forces jusqu’à l’exultation finale, en dépit d’une saine réalisation technique. Les choix de relief n’ont pas été efficacement pesés et réfléchis, à tel point que la réalisation reste quelconque. L’on demeure songeur à l’écoute de la version gravée par Pierre Boulez et l’orchestre de Cleveland il y a quelques années...
Noon a été commandé par l’Orchestre de Paris à Philippe Manoury.
Le compositeur s’est passionné pour l’univers particulier de la poétesse Emily Dickinson [photo]. Il entreprit un long travail d’appropriation dont la création d’aujourd’hui est une étape. Les quatre Cahiers constituant huit sections couvrent actuellement trois quarts d’heure de musique qui devraient s’étendre au double dans la version finale encore en devenir. Les moyens convoqués par Noon sont du genre monumental, avec un orchestre extrêmement développé, un dispositif électronique très présent, un chœur et un soprano solo. On parlera d’une certaine incandescence de l’œuvre, nourrie d’un lyrisme hérité de Strauss et de Berg, déjà rencontré dans l’opéra K...
Salonen construit savamment la sonorité de l’instrument qu’on lui a confié, délimitant les divers plans de l’espace acoustique à gérer. Indéniablement, Noon pose des soucis d’équilibre et fait partie de ces œuvres dont l’exécution pose problème. Une fois de plus, le soprano Valdine Anderson charme par un timbre délicat et juvénile. La partie vocale est cependant si peu flatteuse qu’on pourra se demander en quoi la poésie de Dickinson trouverait écho dans une psalmodie systématique et ténue qui s’épuise vite, indépendamment d’un repérage assez réussi des différents climats. La musicalité propre des textes n’a guère influencé le compositeur ; c’est dommage.
Cette soirée s’ouvrait avec une interprétation brillante de l’ouverture Leonore II de Beethoven. Esa-Pekka Salonen y tenait le public en haleine par une lecture extraordinairement contrastée, sans appui systématique sur les cordes graves, ciselant un vrai suspens.
BB